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The last Troubador

The last Troubador

En 1912 puis en 1915, hanté par « La lyrique médiévale » des troubadours occitans le poète américain Ezra Pound qui, comme Dante et Pétrarque considère que le premier d'entre eux est Arnaut Daniel, parcourt le Périgord cherchant à s'imprégner de l'essence même de leurs chants. Bien des années plus tard, au sortir de la dernière guerre mondiale, à Washington, un jeune étudiant reçoit du maître un conseil qui va, pour lui, s'avérer très vite être le kilomètre zéro d'une très longue pérégrination spatiale et temporelle à travers l'Europe de langue romane. « Retourner, là où les choses avaient commencé ». Soixante et un an plus tard le livre qui relate ce voyage et cette aventure artistique et intellectuelle arrive enfin à bon port.

C'est un livre d'un format peu courant, l'in octavo carré des bibliophiles, que celui-ci, tout juste publié par les éditions Fanlac. Sa couverture, illustrée d'une petite gravure de David Delesalle, et les pages de ses cahiers, ont la blancheur irréprochable du neuf. Le papier n'a pas eu le temps d'acquérir cette patine et cette densité propres aux ouvrages passés successivement entre les mains de nombreux lecteurs. Un sort que connaîtront sûrement beaucoup d'exemplaires de ce premier tirage de l'œuvre de William Merwin « Les fleurs de mai de Ventadour ».

William Merwin, malgré une récente publication, sous le Titre « La renarde » d'une suite de poèmes qualifiés de « caussards » par Jacques Réda (1), n'est guère connu en France. Dans son pays d'origine, pourtant, c'est une sommité littéraire. Auteur autant que traducteur son œuvre foisonnante lui a valu d'innombrables distinctions décernées par de prestigieuses institutions et fondations. Les unes récompensant ses versions anglaises de choix de poèmes d'Euripide, de Perse et de Dante, de Follain ou de Neruda, ses présentations de la Chanson de Roland, du Poème du Cid ou des maximes de Chamfort, les autres honorant son œuvre personnelle, comportant une vingtaine de recueils. Mais sans doute est-ce de ses pairs qu'il aura reçu les plus hautes récompenses puisque vingt-cinq d'entre eux ont fait, 2001, l'hommage d'un livre « Many mountains moving » à celui en qui Mark Irwin voit « une sorte de Virgile contemporain » et que David St. John appelle « The last troubador »       

Né en 1927, dans l'état de New-York, ce citoyen du monde aujourd'hui retiré à Hawaï a travaillé et vécu en Angleterre, en Espagne, au Portugal mais surtout dans le Sud-Ouest de la France, où, non loin du fleuve Dordogne il devait acquérir, bâtie sur un arpent de causse quercynois, une maison retirée et abandonnée depuis des lustres. Il y séjournera régulièrement durant deux décennies et de là s'aventurera, à pieds, au guidon d'un vieux scooter ou au volant d'une guimbarde au plus secret des plateaux et des vallons environnants poursuivant, jusqu'aux Corréziennes  ruines décharnées du château de Ventadour sa quête inlassable du « mystère esthétique que fut l'éclosion (…) du trobar (poème et musique) au XIIe siècle occitan d'où procède finalement l'ensemble de notre tradition poétique et musicale en Occident. » comme le précise son traducteur Luc de Goustine.

Colomb respectueux de ses paysages et de sa culture, Merwin est allé à la découverte de la terre des troubadours guidé par les indications d'une boussole intérieure, comme chargé de recueillir, à la veille de la disparition de ce monde, alors sur le fil du rasoir, la petite pincée de sel  qui en sublimait l'apparence et lui conférait une secrète et absolue harmonie !

 

William S. Merwin Composition Ch.C d'après une photo Éditions Fanlac  Juin 2003

« Les fleurs de mai de Ventadour », les fleurs d'aubépine annonciatrices du printemps, sont un livre étrange, fascinant, émouvant, déroutant, certainement, pour les taxonomistes de l'écrit qui hésitent à le caser dans la seule autobiographie, la relation de voyage exotique ou l'essai littéraire. On comprend leur indécision « Les fleurs… » relèvent successivement, alternativement et simultanément de ces trois genres à la fois. Le lecteur, en revanche, sait en dérouler le fil conducteur et des conversations de l'auteur avec Pound, de ses déambulations solitaires sur le causse aux saisissantes évocations des Guillaume de Poitiers, d'Ébles le Chanteur, Arnaut Daniel, Bertrand de Born, Girault de Bornelh, Guy d'Ussel, Jaufre rudel, Uc de Saint-Circ, Bernart de Ventadour … il n'y a pas le moindre hiatus !  Au gré des paysages, des grimoires et des rencontres, le témoin, à la poursuite duquel il aura couru, lui a été passé… in extremis !

En 2006 les liens ténus de l'héritage culturel sont dorénavant définitivement rompus et les muses qui se sont prostituées pour survivre se livrent, sans plus d'espoir, à la muséographie réifiée ! Restent intactes l'émotion des vers et du chant comme l'éblouissement des peintures de Pech Merle, Cougnac ou Lascaux qui enchantent toujours, par delà les siècles et les millénaires, notre imaginaire.

William Merwin aurait-il véritablement endossé la cote de mailles du « last troubador » ?

 

Christian. Carcauzon 24/11/2006

William S. Merwin Les fleurs de mai de ventadour In 8 carré 158 pp Fanlac Périgueux été 2006. 18 €

 

(1)    Publié sous le titre original The vixen (Alfred A. Knopf 1998 New-York 1998) « La renarde » figure depuis 2004, en version bilingue, au catalogue des Éditions Fanlac. Luc de Goustine qui en a assuré la traduction, comme il l'a fait pour le récent « Les fleurs de mai de Ventadour », partage bien des souvenirs avec Merwin auquel, jadis, il donna les clefs de la geste Ventadourienne.

 

                    



06/02/2007
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