PEYRONY – HAUSER : L'HÔPITAL QUI SE FOUT DE LA CHARITE !
PEYRONY – HAUSER : L'HÔPITAL QUI SE FOUT DE LA CHARITE !
Le public l'ignore généralement mais les grands chapitres de l'archéologie préhistorique sont jalonnés, depuis plus d'un siècle, d'épisodes tragi-comiques. Les impostures, en particulier, sont nombreuses et ravissent ceux qui n'y ont pas succombé. Le fameux, mais archi-faux, Eanthropus de Pildtown ( peut-être fabriqué de toutes pièces par Arthur Conan Doyle si ce n'est par Teilhard de Chardin), le surprenant site de Glozel qui livra d'uniques (et pour cause) spécimens d'écriture paléolithique ou plus récemment la grotte Cosquer dont les fresques pariétales doivent beaucoup, sans doute, au talent de quelques plongeurs facétieux, sont certainement les mystifications les plus abouties et celles qui auront fait le plus de victimes célèbres.
À ces espiègleries, qui, parfois tournèrent au drame, s'ajoutent les classiques malhonnêtetés intellectuelles, les mensonges, les contrevérités flagrantes étoffées d'accusations calomnieuses assorties de violences verbales, voire physiques, traduisant les rivalités exacerbées de chercheurs à l'ego hypertrophié. Tard venue au rayon de la science, la préhistoire suscite encore et toujours des passions dont les excès sont proportionnels à l'intérêt accordé à la discipline.
En Périgord noir, sur les rives de cette Vézère dont les abris sous roche et les grottes profondes commencent, au début du XXème siècle, à livrer leurs secrets et leurs trésors, il était fatal que les empoignades des pionniers soient au diapason de l'engouement suscité par une accumulation de découvertes hors du commun. Il était évident, aussi, qu'un jour ou l'autre quelques-uns de ces épisodes peu reluisants tenteraient la plume d'un narrateur sans concession.
Sherlock White & Randall Holmes
C'est chose faite en ce qui concerne « L'Affaire de l'Abri du Poisson », publiée cet automne 2006 chez Fanlac et que seul, sans doute un universitaire américain, spécialiste de la discipline, pouvait écrire avec suffisamment de recul vis à vis des faits analysés et des protagonistes mis sur la sellette.
Avec le petit bourg des Eyzies, l'auteur, Randall White, actuel directeur des fouilles de l'abri Castanet à Sergeac, plante le décor de son dernier et passionnant ouvrage qui à défaut de s'apparenter à un polar n'en relate pas moins un crime. Crime apparemment il y a bien eu … contre le patrimoine national. Le lieu, le crime… ne manque plus que le coupable. Il est tout désigné et porte les stigmates évidents de son forfait car un étranger qui connaît un certain succès dans ses entreprises ne saurait être innocent. C'est d'ailleurs ce que proclament avec force ses accusateurs. Décidément cette Affaire de l'Abri du poisson semble dépourvue de zones d'ombre et depuis 1912 des dizaines de livres l'évoquant n'ont jamais remis en cause la version officielle. Et pourtant l'enquête de l'inspecteur White révèle que les dénonciateurs sont loin d'être blancs comme neige et qu'à y regarder de plus près le seul délit commis c'est la machination ourdie par un abbé de cour imbu de lui-même et un instituteur franc-maçon aux dents longues contre le prévenu qui, au fil des pages, se transforme en victime.
« L'Étranger »
Petit résumé de l'affaire à la faveur de laquelle l'auteur, New-Yorkais d'origine mais citoyen à mi-temps du « pays de l'homme » depuis une bonne trentaine d'années, brosse un saisissant portrait de la préhistoire périgourdine à la veille de la première guerre mondiale.
En 1898, Les Eyzies voient débarquer un certain Otto Rudolf Hauser. Ce suisse alémanique friand d'antiquités fait de cette petite localité son quartier général et à partir de 1906 s'y implante durablement pour réveiller, comme beaucoup d'archéologues venus de l'Europe entière, la mémoire millénaire de la terre. L'homme a de l'argent et le change qui lui est favorable accroît son aisance financière. La région est pauvre et comme il paye bien, mieux certainement que beaucoup de ses confrères, il loue de multiples gisements qu'il fait fouiller de manière expéditive par des hommes de peine du terroir satisfaits des gratifications octroyées. Les trouvailles sont abondantes. Otto Hauser ne s'en plaint pas lui qui les revend à très bon prix à des acheteurs étrangers dont certains opèrent pour le compte de musées germaniques. Jaloux des succès remportés par ce protestant tombé amoureux du Sud-Ouest au point d'envisager de s'y fixer, ses rivaux, chapitrés par le Dr Louis Capitan véritable ponte de la commission des monuments historiques, lui témoignent une franche hostilité. Parmi eux, l'Abbé Henri Breuil, Denis Peyrony et Louis Didon, liés par des engagements maçonniques, ne sont pas les moins critiques. Pourtant le premier sert d'intermédiaire aux deux autres qui vendent, aussi, allégrement au plus offrant, leurs propres collections privant de la sorte les musées nationaux de pièces uniques et exceptionnelles. De telles transactions sont évidemment contestables et les trois compères qui réclament l'anonymat le savent bien. Elles ne sont pas pour autant condamnables car la loi n'offre de protection qu'aux biens mobiliers et aux sites classés. Mais leur ennemi n'est pas de ces Américains avec lesquels ils traitent; c'est une espèce de bôche que le ressentiment nationaliste cocardier désigne sans ambages à la vindicte publique. La haine que les uns vouent à l'autre est patente et ne s'embarrasse pas d'objectivité. La presse qu'ils manipulent accuse, au mépris de la vérité, le gêneur d'avoir trempé dans le vol d'un bas-relief féminin extrait du site de Laussel. Au volant de son auto l'Otto aurait voulu écraser l'abbé à bicyclette comme le prétend un an après l'événement supposé, le digne homme d'église… Pour les besoins de la cabale qui va lui porter l'estocade finale, le parpaillot zurichois Hausser sera revêtu des défroques du juif allemand. Puisse le pape de la préhistoire faire longtemps encore antichambre au purgatoire, pour avoir inspiré en sous-mains ces accusations peu honorables !
Une belle prise !
En 1912 un certain Jean Maurice Marsan, dit Jean le Pêcheur, découvre au plafond de l'abri de Gorge d'enfer, qu'il vide de son remplissage archéologique à grandes pelletées, un exceptionnel bas-relief de poisson, représentation quasiment unique dans l'art pariétal paléolithique. Pour Simon Souffron, le propriétaire de l'abri et Jean le Pêcheur (1) cette trouvaille est une véritable aubaine. D'emblée ils songent à la négocier au mieux et intéressent rapidement à l'acquisition le conservateur du Musée de Berlin. La négociation aboutit et rapidement des ouvriers s'emploient à détacher la figuration de la paroi rocheuse. La législation en vigueur ne peut s'y opposer le site étant privé et l'œuvre sculptée n'ayant pas encore bénéficié de la moindre mesure de protection administrative.
Bien heureusement la tentative d'extraction ne sera pas menée à terme. Alertées par Denis Peyrony et saisies de cette affaire par le sous-secrétariat d'État aux beaux-arts les autorités réagissent avec célérité, apposent les scellés sur l'entrée de la cavité et entament des procédures de classement et d'expropriation qui aboutiront l'année suivante.
L'épisode n'aura cependant pas été sans conséquences pour Otto Hauser; les relations commerciales qu'il entretient depuis longtemps avec ses acheteurs allemands font croire à beaucoup qu'il est derrière les protaganistes locaux et ses adversaires, Peyrony en tête, ne sont pas les derniers à le diffamer . Évidemment il n'en est rien. Lui-même a été approché par les vendeurs dont il a repoussé la proposition. Il estime d'ailleurs que le poisson est un faux ! En août 1914 il quitte précipitamment le Périgord pour la Suisse. Sa propriété de Laugerie Haute est mise sous séquestre de même que son courrier. Soupçonné un temps d'être un « agent intermédiaire » de l'Allemagne il est finalement, en 1915, lavé de l'accusation d'espionnage. Pour autant, à l'issue de la guerre il ne pourra rentrer en possession de ses biens sur lesquels l'État fera définitivement mains basses en 1921.(Guy Penaud Dictionnaire Biographique du Périgord Fanlac 1999 )
Success Story
Denis peyrony (2) se sera quant à lui forgé dans cette histoire une facile réputation de défenseur du patrimoine national . Pour ne pas l'écorner il renoncera peu à peu à ses ventes d'objets préhistoriques. À partir de 1928 il n'a, à vrai dire plus guère besoin de ces compléments de ressources; sa réussite professionnelle, facilitée par ses amitiés maçonniques, le met, à l'abri du besoin. Il hérite, à cette date, du poste de conservateur du Musée des Eyzies. Comme quoi, même tintammaresques les casseroles que traînait le préhistorien n'ont pas entravé son ascension sociale!
Le bouquin de Randall White vaudra-t-il à son auteur les sincères félicitations des thuriféraires, de « ceux qui ont réellement marqué la préhistoire en Dordogne » (3) dont font partie, en autres, J-J Cleyet-Merle l'actuel directeur du musée des Eyzies et Serge Maury l'archéologue départemental de la Dordogne? …Il est permis d'en douter car l'autopsie méthodiquement menée de « L'affaire de l'Abri du Poisson » ternit assurément la légende dorée de pionniers que leur appartenance à la Franc-maçonnerie exonérait de bien des pesanteurs républicaines !
Reste que cette publication fort peu consensuelle obligera l'éditeur à rafraîchir, s'il envisage, bien qu'il ait pris de sérieuses rides en 11 ans, de le remettre sur le marché, le chapitre préhistoire de son « Guide Dordogne Périgord ». Un de ses rédacteurs, journaliste à Sud-Ouest, y vilipende sans retenue, dans la notule qu'il consacre à l'Abri du Poisson, les méfaits de l' « Antiquaire allemand Otto Hauser qui vivait du commerce des objets préhistoriques… » accusé d'avoir lui-même, dans sa tentative d'enlèvement, foré « les trous que l'on remarque à côté de cette œuvre d'art »
De toute évidence après le salutaire exposé de Randall White il devient malaisé d'écrire l'histoire en ces termes là!
Ch.C. Le 6/2/2007
Randall White L'Affaire de l'abri du poisson patrie et préhistoire . In 8 br couverture illustrée 237 pp tres nombreuses illustrations in et H.T Biblio. Fanlac automne 2006 19 €. Décapant et anti-rouille !
(1) Jean Maurice Marsan ne profitera pas financièrement de sa découverte. Décédé avant la fin de l'année 1912 c'est son cousin Pierre-Amédée Delprat, désigné légataire, qui bénéficiera conjointement avec le propriétaire de l'abri des indemnisations versées par l'État.
Christian Carcauzon aura moins de chance en la matière. L'inventeur des grottes ornées paléolithiques de Jovelle, Fronsac, La Font-Bargeix et La Croix n'a perçu aucune indemnité de quelque sorte que ce soit mais subit, en plus ;depuis 1983 l'ostracisme des apparatchiks socialo-maçonniques du Conseil général de la Dordogne et des histrions du triste ministère dit de la culture Lire notre article « Les Grands témoins de la Préhistoire »
(2) Arriviste notoire Denis Peyrony s'attribuera en 1903 la découverte des gravures paléolithiques de la Grotte de la Mairie (Teyjat) située dans le nord de la Dordogne… Celles-ci en réalité furent mises au jour par son frère (en maçonnerie) Pierre Bourrinet, instituteur dans cette petite localité du Nontronnais.
(3) Serge Maury in « Le Guide Dordogne Périgord » Fanlac 1996
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