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les éditeurs et diffuseurs du livre sont à la peine

 

Guérilla judiciaire menée contre les sites de vente en ligne jugés outrancièrement concurrentiels, levée de boucliers contre une tentative de toilettage de la loi Lang estimée dangereuse pour les commerces indépendants, le petit monde des libraires, sur la défensive, cherche des boucs émissaires pour justifier  sa perte  d'attractivité. De toute évidence si éditeurs et diffuseurs du livre sont  aujourd'hui, à la peine, les raisons invoquées de leur marasme sont à chercher ailleurs !

Les Français sont des lecteurs modestes. 1/3 d'entre eux n'ouvre jamais un bouquin ; les autres en lisent au moins un dans l'année, assure l'enquête de la Sofres qui présente cet instantané statistique dressé à la veille du récent salon de Paris. Le sondage, toutefois, souligne, dans les catégories des grands et moyens consommateurs un net recul du nombre de livres lus.

300 éditeurs affiliés au SNE (syndicat national de l'édition) se partagent encore, avec des fortunes diverses, le gâteau. La  profession, en 2007,  a mis sur le marché 68 000 titres  vendus à 494 millions d'exemplaires dont1/5 sera pilonné  !

Les livres achetés l'auront été dans l'un ou l'autre des  26 000 points de vente répartis sur tout le territoire. Parmi les Maisons de la Presse, les grandes surfaces, hyper ou super marchés, les enseignes franchisées,  les librairies authentiques dont beaucoup ne disposent même pas d'un fonds  de 10 000  références,. représentent à peine 10%  de ces établissements de négoce.

Considérée, abusivement, comme un des derniers bastions de la culture, la librairie généraliste n'a pas les moyens de ses ambitions . Elle survit  souvent grâce à la vente des manuels scolaires mais surtout des albums de BD (1) des insipides bluettes sentimentales de Marc Lévy  ou des tribulations d'Harry Potter.

En 2007, année électorale, les essais politiques auront largement occupé le haut du présentoir et le meilleur des rayonnages. Parions qu'à la faveur de l'Euro de football les confessions des artistes du ballon rond vont proliférer aux mêmes places comme orties sur champs de décombres  !http://www.decitre.fr/livres/actualite/euro-2008-2008.aspx

Les « offices » en croissance exponentielle ont peu à peu supplanté le « fonds » dans la plupart des librairies. Ce système qui dispense le professionnel d'une statégie d'achat raisonnée mais économiquement risquée, fait plus appel à sa force physique (déballer, mettre en place, remballer) qu'à ses compétences culturelles.  Les éditeurs expédient, à un ryhme infernal et en grandes quantités, leurs nouveautées dont la présence à « l'étal » ne dépassera pas 3 mois ou à peine plus. À échéance le libraire retournera les invendus qui feront, alors,  l'objet d'un à valoir. Baptiste marrey (2) fait état, dans son passionnant « Éloge de la librairie avant qu'elle ne meure », du stockage délibéré en réserve d'ouvrages jugés invendables… Ceux-là ne quitteront pas la palette de livraison jusqu'à l'heure du voyage en sens inverse.

Faiblesse du stock disponible, médiocrité générale des ouvrages proposés en vitrine,.. ne sont pas les seules cause de la désaffection des chalands. Le prix du livre est proprement excessif Celui du livre dit de poche n'est, depuis longtemps, plus en phase  avec sa fabrication industrielle et avec les revenus du lecteur lambda. Ce dénumi a beau fouiller dans les siennes, de poches, il peine à réunir les presque 9 € qu'elles doivent contenir pour payer un exemplaire, pages(mal) collées de « Moby dick » tombé, il y a des lustres, dans le domaine public  ! Et encore, pourrait-il faire ce sacrifice financier en faveur du chef-d'oeuvre d'Herman Melville mais de là à foutre en l'air 6€50 pour se taper la prose d'Attali « Une brève histoire de l'avenir » voilà qui dépasse les bornes  ! Les presses Camerone ne débitent plus que de la fausse monnaie !

Considérant la volatilité commerciale du livre, 3 mois au maximun en librairie, et le volume impressionnant des retours destinés au recyclage, des députés de la majorité, peu au fait des problèmes réels de la filière, ont naïvement imaginé lui offrir une nouvelle chance de conquérir un autre lectorat que celui des acheteurs empressés. Au terme de 12 mois, au lieu de 24 ou 30  actuellement, des rabais supérieurs aux 5% autorisés pourraient être pratiqués. Les cris d'orfraies des éditeurs, comme ceux des vendeurs,  n'ont pas tardé à se faire entendre qui dénoncent la mise à mort du livre par soldes interposés.

Ne s'agit-il pas, en réalité, d'une tempête dans un verre d'eau ?

Un ouvrage sans intérêt, celui de Sarkozy par exemple, « Témoignages » paru chez XO en 2006 pourrait être proposé à 6 ou 8 € au lieu des 16,90 initiaux. Doit-on sérieusement imaginer que l'improbable bénéfice espéré de l'opération puisse justifier de nouveaux frais de manutention, d'entreposage, de rééxpédition et de publicité ? Un trimestre, à peine, après son fugace passage en librairie ou hypermarché, « Témoignages » était déjà virtuellement transformé en pâte à papier sur laquelle on pouvait, dans la foulée, imprimer la profession de foi de Delanoë… qui ne connaîtra pas une meilleure carrière. … et qui, du reste, est déjà oublié !

C'est également le sort que subira « Carla et Nicolas, la véritable histoire » navrant document écrit par Yves Azeroual et Valérie Bénaïm, deux plumitifs proches à divers titres du Président de la République et de la 1ere dame de France. Les bonnes feuilles de ce livre, paru ces jours-ci aux éditions du Moment (fugace ?) sont publiées par le site internet de l'hebdomadaire « Le Point ». À parcourir ces pages numériques on ne risque certes pas d'avoir « Les mains sales » mais, malgré tout, on n'échappe pas à « La nausée ». Carla et Nicolas remportera vraisemblablement un franc succès, auprès des midinettes ménopausées  de l'UMP et du Sentier durant une bonne quinzaine de jours . 

Produits de l'intox médiatique, audiovisuelle surtout, les best sellers ne suscitent qu'un engouement éphémère. À peine exposés ils engorgent déjà, à tout juste 1 ou 2 €, les caisses à pouilleries des vides-greniers et des Emmaüs

Le reste de la production éditoriale n'est pas concerné par un éventuel dumping. Plus un ouvrage est savant, pertinent ou remarquable au plan littéraire… moins son tirage est important. Il n'y a donc guère de possibilité de le retrouver, à prix cassé, au bout d'un an, dans le circuit des bouillonneurs ! Et si, sous la pression des lecteurs, il doit faire l'objet d'un retirage celui-ci collera étroitement à la demande.

Les craintes manifestées par les libraires sont donc illusoires et infondées car, justement, leur métier consistant à sélectionner, pour leur clientèle, le meilleur des parutions contemporaines  on voit mal comment les titres achetés à compte ferme qu'ils détiennent pourraient être concurrencés par le réseau des soldeurs… qui, en régle générale, ne proposent que « de la drouille » comme on dit chez les bouquinistes exigeants ! Évidemment si le libraire a fait des choix catastrophiques , hypothèse peu crédible car ce professionnel a du métier et du jugement , il en ira tout autrement!

Comme il y a, hélas pour le chaland impécunieux, gros à parier, que Mazenod-Citadelles ou Gallimard-La Pléiade ne consentent jamais plus qu'un rabais de 5%, comme c'est déjà le cas , sur le prix de leurs publications les libraires peuvent remiser leur mouchoir . Dommage pour le client qui aimerait, par exemple, trouver à 50 € au lieu de 189 € le prestigieux Prehistoire de l'Art Occidental de Leroi-gourhan

Il semble  évident que le livre papier, dont se détourne les adolescents et les jeunes adultes sans que ce désintérêt soit profitable, jusqu'à présent, au livre numérique, a connu son apogée. Même si la Loi Lang était respectée au pied de la lettre cela ne changerait rien à une modification en profondeur des pratiques culturelles.  La progression de l'illettrisme , fruit de la faillite de l'enseignement, devrait bien au contraire, accentuer cette tendance lourde et semble-t-il irréversible.

Pour le coup , en la matière, la braderie a commencé  il y a longtemps et bien avant le passage de Jack Lang au ministère de l'Éducation Nationale !

Si de façon génèrale la consommation s'effrite jusqu'à affecter la grande distribution c'est évidemment à cause de la faiblesse des salaires. Si, pareillement, la librairie indépendante et l'édition sont en mauvaise posture c'est indubitablement lié au recul de la culture. Mais cette mauvaise passe ne signe pas ipso facto la mort de l'une comme de l'autre… à vendre uniquement la daube éditoriale et littéraire réclamée par un public ayant perdu tout repère elles devraient certainement redresser la barre. Rien qu'à l'aune de cette espérance on devrait accueillir Marc Lévy sous la coupole et à sa mort transférer ses « cendres de conséquence » au Panthéon des belles lettres. « Entre ici , Marc Lévy ! avec ton terrible cortège de pisse-copies pour ménagères de moins de cinquante ans,! »

La Galaxie Gutenberg reconnaissante !

Ch.C le 3/6/2008

(1) En 2006, c'est Zep  qui avec son onzième tome des aventures de Titeuf,  écoulé à 570 000… exemplaires aura sauvé la mise des boutiquiers dans la panade

(2)   Éloge de la librairie avant qu'elle ne meure (Le temps qu'il fait 1988)



27/08/2008
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