Dr Eugène & Mr Leroy
Dr Eugène & Mr Leroy
Eugène Le Roy, en Dordogne, tout le monde connaît… Au moins depuis l'adaptation télévisuelle, par le réalisateur Stellio Lorenzi, du roman phare de l'auteur régional : Jacquou le croquant. Ceux qui, moins nombreux, se sont plongés dans l'œuvre littéraire féconde du papa de Mademoiselle de la Ralphie et de Nicette et Milou – ce dernier, héros masculin dont Hergé popularisera le nom sous d'autres traits que ceux imaginés pour son propre personnage, par le percepteur de Montignac – savent bien qu'il fut, lui, le républicain franc-maçon, mais pas pour autant communard, le chantre du Périgord rural. Né en 1836 à Hautefort il exalta comme aucun autre, sa terre natale… au point qu'on pourrait regretter, pour lui, son rendez-vous littéraire manqué avec la France maréchaliste. Toujours présent dans les années 1940, il eût pu utilement s'employer à faire l'éloge du noble vieillard qui avait fait don de sa personne au pays et à célébrer la terre qui, elle, ne ment pas. Comme le firent, talentueusement, les Pesquidoux et autres Pourrat ou Tharaud frères ainsi que le Francis James périgourdin, Albert Pestour, ses dignes émules.
Hélas, la mort le faucha en 1907 ce qui était largement prématuré pour une telle ambition. Malgré tout, sans doute après lecture des écrits d'Edouard Drumont, son contemporain, il sut stigmatiser la ploutocratie agrarienne et n'hésita pas, dans la foulée, à désigner à la vindicte publique « la tribu des Rothschild » qui avait « accaparé des dizaines de mille hectares » ainsi que tous les « odieux et les rastaquouères »… cibles et boucs émissaires privilégiés, quelques années plus tard, des marxistes radicaux, des cagoulards, des Croix de Feu et autres Camelots du Roi. A coup sûr tout ce petit monde aurait fourni de cocasses compagnons de route à ce maître de la loge Française d'Aquitaine de Bordeaux qui, en matière d'anathème demeura cependant un timide pionnier irrésolu jusque dans son anticléricalisme à géométrie variable. Ses romans les plus connus « Jacquou le Croquant » et « L'ennemi de la Mort » attestent sa complaisance ambiguë à l'égard du ministère d'un (bon) curé Bonal et son empathie pour les protestants du désert .
Pour autant il sait résister à d'autres compromissions et reste étranger aux thèses que développeront, bien plus tard, les lobbies CPNTistes : la nature l'émeut et ses connaissances en botanique et la justesse de ses observations animalières résonnent toujours avec une étonnante modernité. Pour preuve ces quelques lignes, publiées en 1906 dans « l'Année rustique en Périgord » et dédiées à « la gentille alouette » dont la chasse le révolte :
« Pauvrette on te traque à force. Les « nemrods » au miroir te fusillent sans pitié partout. Vers le pays bas, dans les plaines de Bergerac, on te tend des « setons » et on te prend au filet par volées. Tu n'es pas grosse pourtant, et lorsque la cuisinière t'a plumée, que reste-il à manger en toi ? Combien faut-il de ces petits corps pour rassasier un goinfre ? Pauvre petite ! Afin de justifier votre extermination, l'homme, stupide, vous calomnie ; il prétend que vous mangez son blé ! Quand vous becquetteriez quelques épis versés, ne les payez-vous pas au centuple en picorant les mauvaises graines, en détruisant les larves et les insectes ! Celui qui veut tuer son chien le dit enragé ; ainsi fait l'homme de toi, innocente bestiole. Prise dans le filet, le sinistre oiseleur te massacre par centaines, froidement, sans compassion. Entre les sillons où tu caches ton nid au pied d'une touffe d'herbe, dans l'empreinte d'un pied de bœuf sont tendus des lacets de crin par milliers ; comment y échapperais-tu ? Ton petit cou délicat passe dans le nœud coulant et tu te débats convulsivement : ton bec s'ouvre et se ferme avec angoisse, tes plumes se hérissent, un léger frémissement agite ton corps frêle … et c'est fini : plus jamais on n'ouïra ton gai tire-lire-lire …Et maintenant, si ça peut te consoler, pauvrette, sache que l'homme est aussi féroce pour ses semblables que pour toi.
Un peu plus loin dans l'ouvrage dont l'impression fut réalisée, quelques mois à peine, avant sa disparition, Le Roy en remet une couche destinée à clouer définitivement au pilori celui qui, aujourd'hui, mérite le surnom de viandard :
« Dans sa manie meurtrière, il décharge son fusil sur d'innocentes bêtes…fusille stupidement les oisillons utiles à l'agriculture et détruit bêtement les rapaces qui chassent les mulots, les campagnols, les serpents et mangent les sauterelles et les insectes ».
Précurseur des écolo-gauchistes et des babas-cools, son amour de la nature le conduit sans détour au naturisme …à la libération du corps. Vraisemblablement il est, à ce sujet, plus prescripteur qu'adepte de la nudité mais il éprouve certainement, plongé dans son hiver physique, quelques regrets à ne pas s'être abandonné complètement auparavant à cette pratique que les baignades estivales lui permettaient occasionnellement.
« Là-bas, au fond de la gorge, où l'eau coule lentement à l'ombre des rochers et des arbres de la rive, il fait bon se baigner. Dans ce lieu solitaire, nulle indécence à se passer du caleçon ou du maillot qui collent désagréablement la peau. Il y a une jouissance très vive dans ce retour à la simplicité primitive ; c'est une volupté exquise que de nager ainsi et de livrer son corps nu à l'enveloppement de l'eau fraîche et limpide. Il semble qu'on dépouille les misères de la civilisation en même temps que ses habits, et c'est avec bonheur qu'on se retrempe au sein de la nature, qui ne s'effraie pas de voir un de ses enfants dans l'état de nudité où il naquit à la lumière. »
Il faut, décidément, relire Eugène Le Roy, ses écrits, parfois, sont plus subtils et capiteux que l'odeur de la truffe !
Christian-Alain Carcauzon
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