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Des vessies pour des lanternes !

                   

 

 

Des vessies pour des lanternes !

Faire croire au public lambda qu'on va lui dévoiler le mystérieux dessous des cartes, la technique éprouvée assure, depuis toujours, le succès de la presse people en attirant dans ses colonnes une multitude de lecteurs affriolés par la promesse de révélations extraordinaires ! D'un emploi facile elle suppose, malgré tout, un sens du titre et une bonne maîtrise de la rédaction du « chapeau ». Alain Bernard, le localier au canotier de Sud-Ouest qui possède l'un et l'autre met, avec un égal bonheur, ses talents indéniables au service de l'édition locale ou nationale.

Sous le titre accrocheur « Des toiles mystérieuses » voilà que l'habile journaliste, assure sans ambages que  Michel Rayssac, l'auteur de  « L'exode des musées, histoire des oeuvres d'art sous l'Occupation » publié tout récemment chez Payot «  apporte du nouveau sur la disparition jamais élucidée de 33 oeuvres majeures en 1944 à La Bachellerie »

         

Pour ceux qui l'ignoreraient  le château de Rastignac, à La Bachellerie, fut, sous l'occupation,  la cachette de plusieurs dizaines de toiles de maîtres que tentèrent de soustraire aux Allemands le marchand d'art juif Jean Bernheim et Jacques Lauwick, le propriétaire de la vaste demeure périgourdine. Il faut dire que ces chefs-d'œuvre signés Manet, Cézanne, Sisley, Toulouse-Lautrec, Renoir, Vuillard, Van Gogh, Matisse, Bonnard, Berthe Morisot, etc. avaient de quoi susciter l'intérêt du Reich. 

Éventée, la planque de cette fabuleuse collection  fut perquisitionnée le 30 mars 1944 par le commando du lieutenant Thalmann qui pilla consciencieusement le château auquel il mit le feu non sans s'être emparé d'un gros butin !

On ne devait jamais retrouver la trace d'aucune de ces toiles… Depuis ce sac en règle les suppositions vont bon train. Certains prétendent que des  maquisards de Terrasson ont fait main basse sur les peintures avant l'irruption du commando, d'autres estiment qu'elles auraient été brûlées dans l'incendie, il en est pour croire qu'elles furent détruites au cours des nombreux accrochages et combats opposant, au-delà de Limoges, troupes nazies et résistants, alors que d'aucuns penchent pour leur transfert dans une nouvelle cachette, bien improbable au demeurant : la rivière souterraine de la Fontanguillère, près d'Eymet… L'eau c'est sans doute bien pour lutter contre le feu mais ce n'est pas sans inconvénient pour des peintures, fussent-elles à l'huile  !

Évacuant purement et simplement doutes et interrogations, Jacques Lagrange, auteur et éditeur régional bien connu, pense que l'incendie volontaire de Rastignac par les soldats du commando Thalmann traduirait leur dépit de n'avoir pu découvrir le trésor artistique qu'ils convoitaient.

Il faut avouer que, dans ce cas, leur désappointement aurait été fondé car dans un louable souci de préservation du patrimoine national quelques  fonctionnaires du ministère des « Beaux-arts » avaient dissimulé, non sans succès, en zone sud, et en Dordogne en particulier, le fleuron de nos musées et de nos monuments historiques. (1)

Dans ce concert d'hypothèses où chacun, de Guy Penaud à François le Nail sans oublier Denis Chaput,  y va de sa lecture dans le marc de café,  Michel Rayssac livrerait enfin « une clef décisive de l'énigme ».

Considérant que, 48 heures après Rastignac, c'est au tour du château de Badefols d'Ans, distant d'une quinzaine de kilomètres, de flamber à son tour à  l'issue du vol d'une autre prestigieuse collection riche de toiles d'Holbein ,de Fragonard, des Van Cleeve, des Lawrence, etc., « soigneusement cachés aussi dans des malles par Pierre Pénin de la Raudière, grand commis de l'État, collectionneur et ami de la famille », l'historien ne repousserait pas, selon Alain Bernard, l'hypothèse d'un « Incendie-prétexte pour brouiller les pistes (destiné à) faire à jamais oublier la razzia sur les chefs-d'œuvre recherchés»

Préoccupation véritablement surréaliste s'agissant de l'armée du Führer qui traînait bien d'autres casseroles et avait à son actif des crimes bien plus épouvantables à dissimuler que ces menus larcins !

Et l'auteur, malgré tout, d'imaginer un convoi de la division Brehmer, sous les pluies de bombes de la débâcle, s'acheminant vers l'Allemagne  d'où les collections seraient ensuite « parti(e)s sur d'autres chemins de traverse » (pour aboutir peut-être chez les soviets ?)

Autant dire que confronté à une telle avalanche de suppositions éculées et (ou) dépourvues de preuve, le lecteur peut légitimement se sentir floué et abusé ! Cherchant vainement où diable, dans la démonstration il peut bien y avoir « du nouveau »  il pourrait finalement se rendre compte qu' une fois de plus on a cherché à lui faire prendre des vessies pour des lanternes!

Ch.C le 4/8/2007

(1) "A l'aube de la 2e Guerre mondiale, de nombreux dépôts d'œuvres d'art ont quitté les musées français. Dans le plus grand secret, le secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts avait organisé la mise en sécurité des trésors du patrimoine français. La région du Sud-Ouest, qui recensait le plus grand nombre de dépôts, y apporta une contribution décisive. Les vitraux de la cathédrale de Chartres, notamment, restèrent cachés sous terre en Dordogne sur décision du préfet d'Eure-et-Loir, un certain Jean Moulin... Le service des Monuments historiques s'occupa du transfert de ces inestimables verrières par convoi exceptionnel. Il en fut de même pour l'ensemble des vitraux d'Alsace et de Lorraine qui furent évacuées d'urgence dans les caves du château d'Hautefort." BARITAUD Thierry



29/11/2007
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