lecornetabouquins

l'Auvézère et la Loue : simple balade en lieux communs

 

L'Auvézère et de la Loue

 

Simple balade en lieux communs.

 

Pierre Thibaud, jeune retraité Payzacois de l'enseignement , a trouvé le temps malgré ses multiples occupations et charges éminentes dans le domaine culturel et associatif local (1), de toiletter un de ses nombreux ouvrages, vieux de 14 ans, consacré celui-là aux vallées  de l'Auvézère et de la Loue. Cette nouvelle mouture, paraît, comme la précédente chez Fanlac. Elle est disponible, depuis peu, dans toutes les « bonnes librairies » du département.

 

Copiant Pierre Lucien Bertrand, l'éditeur Buguois, qui avait eu l'idée d'une (trop onéreuse) collection d'opuscules consacrés au patrimoine architectural disparate du « Pays de l'homme », son homologue Périgourdin Fanlac ambitionne, avec l'onction et le soutien du Conseil général et au gré d'une suite de monographies abondamment  illustrées, de faire découvrir la mosaïque contrastée des petites régions naturelles du pays de « Jacquou le croquant »

Le premier titre de la série, paru à l'automne 2006, donnait quelques bobinettes permettant d'entrer sans effraction dans l'univers secret de « La Double, Un pays en Périgord ».  (Voir notre article sur ce même blog )

Le second, édité en cet été 2007, météorologiquement calamiteux, est celui de Pierre Thibaud, auteur sensible, et on le comprend, à la beauté de l'hagiotoponyme de ce petit village de la région de Tourtoirac « joliment nommé Saint-Thibaud ». Cette  réédition, sous une forme rafraîchie, du texte « L'Auvézère et la Loue » publié en 1993, nous entraîne, au fil de l'eau des deux rivières, à une simple balade en lieux communs, des hauteurs limousines à leur confluence respective avec l'Isle.

 

Pierre Thibaud donne, depuis des décennies d'agréables chroniques à son quotidien d'élection « Sud-Ouest ». C'est dire, en filigrane de cette collaboration d'une   remarquable longévité, qu'il sait manier, à la perfection, l'expression consensuelle, celle qui ne froisse pas le tissu social si prompt à se chiffonner !

 

La recette est éprouvée : elle permet de « faire son chemin » sans encombre et évite, en l'occurrence, de s'aliéner des lecteurs potentiels !

 

 Ce n'est certainement pas la raison qui pousse l'auteur  à énumérer, sur une page entière de remerciements, les noms d'une bonne quarantaine de personnes et d'autant d'élus, fonctionnaires, institutions privées ou publiques diverses… Les uns comme les autres pourtant ne bouderont pas le plaisir de voir leur patronyme, acronyme ou raison sociale accolés à une flatteuse œuvre de l'esprit si plaisamment éditée !

 

Il faut reconnaître que le livre « L'Auvézère et la Loue » est un bel objet ; son format inhabituel, In 8 carré, sa couverture souple à rabats composée avec recherche, le grammage du papier couché, la solidité de bon aloi de ses cahiers cousus comme l'abondance de l'illustration ne nuisent pas, bien au contraire, au plaisir de le feuilleter.

 

Malgré tout force est de constater que les photographies, valorisées par une mise en page aérée et souvent  judicieuse, ne sont au mieux, la plupart du temps, que de plats, insipides ou médiocres clichés d'amateurs ; l'édition qui file un mauvais coton ne peut plus se payer le luxe de la contribution d'un véritable photographe.

C'est ainsi que bon nombre d'illustrations, glanées au petit bonheur la chance sous les pires lumières, sont mal cadrées et  présentent  d'insupportables sur ou sous expositions.

S'agissant, par exemple, de la lanterne des morts de Cherveix-Cubas, rare monument de ce type en Périgord, il aurait suffit, en conservant une pose longue destinée à la flamme du fanal,  d'éclairer d'un discret coup de flash rasant ou arrière ce phare veillant sur le champ des tombes pour en faire ressortir toute la grâce et le mystère.

 

 L'intérêt de beaucoup d'autres, souvent discutable, aurait dû conduire à une sélection bien plus rigoureuse.  Pourquoi consacrer une pleine page à la façade du château d'Essendieras, extravagant chalet Helvétique qui fut le cabinet d'écriture de l'écrivain juif André Maurois, puis la garçonnière de Sylvain Floirat dont beaucoup ignorent l'origine de la fortune (2) ? Pourquoi récidiver avec cette indigente vue de la halle moderne du Change, village qui pourtant fourmille de trésors authentiques ? Pourquoi encore  avoir oublié le charmant portrait mosaïqué de  la déesse Flore exhumé, à La  Boissière d'Ans, des limons de l'Auvézère en 1879 et qui constitue la pièce maîtresse de la salle gallo-romaine du musée de Périgueux ? Pourquoi, toujours, infliger au lecteur ces contre-jours  bouchés de ponts, fontaines ou pigeonnier,  ces clichés farce de reine d'Angleterre en visite à Hautefort, d'actrice de second plan (Marcelle Chantal), de général à roulettes (Clergerie, promoteur des taxis de la Marne) ou de présumées œuvres d'art comme cette Musicalité du prétendu sculpteur Gaston Watkin, autrefois bétonnée dans l'enceinte du collège de Chardeuil à Coulaures et dont, hormis Pierre Thibaud,  personne ne regrette vraiment la disparition, sort promis à bien d'autres créations de plasticiens qui ont su séduire les édiles des deux vallées.

 

Dommage enfin que l'ancien prieuré bénédictin de Saint Raphaël ait été si mal portraituré et que la frêle ophrys funèbre, à la faveur d'une légende hasardeuse, soit devenue une bien étrange orchidée sérapias

 

Si l'iconographie de l'ouvrage présente bien des maladresses et des rugosités, l'écriture de Pierre Thibaud est, en revanche, sans aspérités ; parfaitement lisse, elle ronronne placidement comme sous la baguette d'un chef d'orchestre de sous-préfecture assoupi au terme d'un banquet républicain ! Emboitant le verbe débonnaire d'habiles présidents de syndicats d'initiatives, elle célébre les richesses, naturelles ou architecturales  du terroir…  comme ses notables omnipotents, d'hier ou d'avant-hier !

 

 

On n'ignorera plus, grâce à Pierre Thibaud, que le maréchal Thomas Robert de la Piconnerie, toujours vénéré  à  Lanouaille et à Excideuil, doit sa renommée à un obscur capitaine de spahis du nom de Chambry qui composa la fameuse « Casquette du père Bugeaud ». Le fils de celui-ci, Tristan Chambry, inspecteur général des haras, s'en serait venu mourir à Vicq-sur-Breuilh non loin des terres acquises en 1815 par le frère du « soldat-laboureur ».

Le tortionnaire colonialiste de l'Algérie dont le château de la Durantie vient de tomber dans l'escarcelle de sujets britanniques, n'est pas l'unique grand personnage de Lanouaille. 7 siècles plus tôt la petite localité donnait naissance à Hugues Géraud de Beaulieu qui devint le missi dominici du pape Clément V. Grisé par son irrésistible ascension, l'homme d'église aspirait à de plus hautes charges que celles d'évêque de Cahors. Il entreprit de faire le ménage pour ravir sa place au successeur de Bertrand de Got, Jean XXII, premier pape d'Avignon. En ces temps là les mœurs étaient rudes… Pris la main sur le flacon de poison Il fut « traîné dans les rues (de la cité) écorché vif puis brûlé » nous assure Pierre Thibaud qui popularise cette sombre histoire connue de quelques érudits seulement.

 

Il renouvelle la performance en nous rappelant l'itinéraire intellectuel et pédagogique de Paul Faucher, le créateur des albums du «  Père castor » qui, fuyant les traques antisémites, s'était replié à Meuzac pendant l'occupation !

 

De père Bugeaud en père Castor il était fatal que  « L'Auvézère et la Loue » nous parle également du « Castor » comme avait été surnommée Simone de Beauvoir par l'auteur de  Les Mouches puis de  Huis clos  pièces  créées, sous l'occupation, dans la capitale avec la bénédiction des autorités nazies !

 

L'écrivain polygraphe périgourdin, consacre, en effet, quelques lignes à la passionaria du « Deuxième sexe »  et à ses errances sentimentales et érotiques en compagnie du jeune Jean Paul Sartre venu de Paris compter fleurette, sur tapis de bogues de châtaignes, à son égérie du pays de Saint- Germain-les-Belles…  Au second degré elles prennent toute leur saveur et on ne résiste pas, à la suite de l'auteur, au plaisir de citer ce passage des « Mémoires d'une jeune fille rangée » où la future suffragette découvre l'agrément de la cueillette des champignons «  à la queue galbée et dont la tête était coiffée d'un beau velours violacé » mais s'emporte contre «  les vesses- de- loup qui en éclatant (sous ses talons) lâchaient une immonde(sic) poussière »

 

Autre célébrité fuligineuse, mais ensoutanée celle- là, de la république des lettres :  l'Abbé Mugnier, natif de Lubersac, qui exerça son ministère à Paris, où les occasions de fauter ne manquaient pas, dans un milieu littéraire, au firmament duquel brillaient les Proust, Cocteau et autre Colette… Ce mémorialiste, qui collabora, comme Rachilde, au journal Le mercure de France, doit être bien reconnaissant au chroniqueur Payzacois de l'avoir tiré d'un injuste (?) oubli.

 

Pour le reste des vieilles gloires pas de surprise à attendre. Dans une longue litanie énumérative défilent, impeccablement habillées de phrases naphtalinées, les nobles figures d'Arsène d'Arsonval, d'Achmet Pacha, d'Innocent VI, de Suzanne Lacore, de Marie Capelle, la bonne dame du Glandier, d'Arédius, de Darnet, de Sulpice Sévère, de Giraut de Borneil, de René Dujarric de la Rivière, de Charles Dufraisse, de Monseigneur Gay (sans jeu de mots), de la « belle Aïssé », de Bertran de Born et de la frigide Marie de Hautefort, des sidérurgistes Combescot promus au rang de « bienfaiteur(s) de la contrée » alors qu'ils ne faisaient qu'exploiter la main d'œuvre locale désargentée et de Jean Pestour, le poète maréchaliste de Chante-merle sa thébaïde construite au couchant de Périgueux !

 

Incontournable la souveraine destinée du pathologique mythomane Antoine Tounens, ci-devant roi d'Araucanie et de Patagonie, n'est pas absente de ce bottin mondain sur lequel trône, inamovible, le frère Eugène Le Roy, père du sauvageon poujadiste « Jacquou le croquant » et chantre avant l'heure de la sainte trinité Travail, Famille, Patrie

 

Les évoquer toutes conduirait à d'inutiles débordements !

 

 

Dès 1967, Jean-Louis Galet qui, en son temps, s'agita beaucoup dans les milieux du tourisme, avait commis, chez Fanlac aussi, « L'Auvézère et ses châteaux ». Comme ce dernier auquel il emprunte largement, Pierre Thibaud propose une découverte de cet entre-deux rivières élargi à ses vastes rives suivant une progression amont-aval cohérente en apparence mais décevante sous cette forme convenue.

 

Peut-être aurait-il fallu, pour rendre plus attractif un ouvrage auquel manque cruellement la contribution du cartographe Patrick Ranoux qui a remarquablement servi le texte du premier titre de la collection, envisager un autre fil conducteur et ficher la paix, une bonne fois pour toutes, aux mânes de ceux qui ont trouvé le repos éternel dans le dictionnaire des noms propres. Et s'intéresser, entre autres, aux préoccupations actuelles d'un pays qui se vide inexorablement de sa substance économique. Les tristes « installations » des plasticiens qui investissent la contrée peinent à faire oublier la déconfiture des dernières unités de production agroalimentaires d'Excideuil en particulier.

 

Encenser, par ailleurs, des opérations budgétivores et vouées à l'échec comme l'aménagement de la grotte de La Clautre à Tourtoirac n'est guère raisonnable et nuit à la crédibilité du texte car, bien entendu, la commune pâtira de cette opération. Le site naturel souterrain est aujourd'hui mutilé à jamais au nom de la seule logique d'un profit commercial espéré… qui ne sera jamais au rendez-vous ! (3)

 

L'Auteur, il est vrai, ne pouvait pas adopter une autre posture quand on connaît les liens qui l'unissent à l'appareil du Conseil général de la Dordogne (4) dont les dirigeants, tout à la promotion du tourisme de masse,   s'accommodent des pires atteintes portées à l'environnement au nom du développement exponentiel de la pratique du canoë-kayak, de l'escalade, de la spéléologie… comme des sports mécaniques polluants et mutilants vivement encouragés et soutenus financièrement, au total mépris de la circulaire Olin.

 

Ch.C le 14/8/2007

 

L'Auvézère et la Loue in 8 carré br couv à rabats 164 pp tres nbrs ill noir coul in et h.t Fanlac été 2007 20 €

 

(1)  cet infatigable dirigeant et animateur ne compte pas pour du beurre dans les hautes sphères du fameux Pôle d'économie du patrimoine et de la DRAC nébuleuses et dispendieuses officines cultureuses 

(2)    " Vieux bonhomme à l'accent rocailleux de paysan périgourdin en mal d'héritier, Sylvain Floirat avait fait sa fortune pendant la trouble période de la guerre d'Indochine. Trafic de piastres, disait-on. Il avait réinvesti dans une petite boîte d'industrie militaire (Matra)......la piastre, en question ici, était l'unité monétaire de l'Indochine française frappée par la Banque d'Indochine qui couvrait l'Inde et l'Asie-Pacifique. Cette monnaie avait un cours de change administrativement lié au franc, un peu comme le franc CFP ou le franc CFA. Un des buts officiels était de décourager la spéculation monétaire.

Connu aussi sous le nom de Trafic de piastres, ce soit-disant "scandale des piastres" ou encore "Affaires des piastres" était une de ces nombreuses fantaisies franco-françaises financières avec le Scandale de Panamá, dont la Troisième République et la Quatrième République n'ont pas eu le monopole. Ce "scandale des piastres" de 1953-1954 a eu plusieurs avantages dont l'un était celui de permettre aux uns et aux autres de rejeter mutuellement leurs responsabilités quant aux échecs dans la Guerre d'Indochine, à l'intérieur des hiérarchies et des échelons de la hiérarchie militaire à ceux de la hiérarchie politique." Bernard Langlois Politis

(3) Pierre Thibaud méconnaît cette problématique. Pourtant dans le mensuel « Le Périgourdin » d'Avril-Mai 2004 le signataire de ces lignes avait alerté l'opinion sur le caractère irrationnel et dommageable d'un projet désormais opérationnel comme il l'avait fait ensuite sur le blog http://argentine24.blog4ever.com  aux côtés de Francis Fargeaudou, membre fondateur du Groupe Spéléologique Périgourdin http://membres.lycos.fr/ffecit/.  Il n'a sans doute pas échappé à certains qu'aucune contribution des deux auteurs ne figure dans la bibliographie très sélective de « L'Auvézère et la Loue ». Pourtant par leurs découvertes, exceptionnelles parfois (Sarconnat, La Reille,Les Borderies - Ouillade Saint Hilaire etc etc) et leurs publications ,  ils ont laissé une trace profonde dans le microcosme des explorateurs souterrains.

 

(4) Le C.G 24 participe au financement du livre de Pierre Thibaud.

 

                   Lire aussi et surtout :Tourtoirac  



25/09/2007
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 13 autres membres